- Salut cousin ! La place est libre ?
Sasuke dévisagea le brun aux cheveux en bataille qui lui souriait, un plateau rempli de nourriture à la main. Il poussa son sac de cours pour lui faire de la place et Obito s'installa.
Pour une raison qu'il ignorait, son cousin avait pris la mauvaise habitude de venir lui tenir compagnie lors des repas de midi. Sans doute avait-il pitié de lui, de le voir toujours attablé seul dans un coin du grand réfectoire bruyant et bondé…
En général, Sasuke appréciait la compagnie d'Obito. Mais aujourd'hui il n'était vraiment pas d'humeur à supporter son cousin. Ces retrouvailles surprises avec Naruto l'avaient beaucoup trop affecté à son goût, et il n'avait pu s'empêcher de penser au blond toute la matinée. Il était encore très en colère contre lui-même de ressentir tant de choses…
Il avait mis quatre ans à se reconstruire après… Après tout ça. Il était enfin parvenu à se foutre de tout - ou presque - à ne plus être qu'un connard hautain, quelqu'un de vide, délesté de toutes ses émotions, de toutes ses envies superflues. Quand on n'est plus rien on ne risque plus de souffrir: sa vie était enfin devenue supportable. Et en un instant Naruto avait réduit tous ses efforts à néant.
Il observa quelques instants son cousin qui se bâfrait allègrement tout en lui racontant des choses dont Sasuke se foutait complètement, à propos de ses amis et d'un prof qui lui avait mis une sale note « injustifiée »…
Physiquement, Sasuke et Obito se ressemblaient beaucoup : mêmes visage fin, mêmes peau très blanche, même yeux sombres en amande, mêmes cheveux raides d'un noir de jais. Ils faisaient exactement la même taille également, avec des épaules un peu trop étroites et une silhouette mince. Mais au niveau du caractère tout les séparait.
Alors que Sasuke était un solitaire taciturne, Obito était d'un naturel extraverti et enjoué. Il avait de nombreux amis, sortait beaucoup, aimait parler fort en faisant de grands gestes. Un peu comme Naruto, et c'était sans doute pour cette raison que Sasuke appréciait la compagnie de son cousin. Sa mauvaise humeur se raviva de plus belle à cette pensée et c'est d'un ton sec qu'il s'adressa à Obito :
- Pourquoi tu viens manger avec moi tout le temps ? Y'a plus de place à la table de tes amis ?
- Tu me files toujours ton dessert. répliqua Obito joyeusement, trop habitué au mauvais caractère de Sasuke pour s'en formaliser.
Le jeune Uchiwa poussa un soupir exaspéré et lui lança en pleine figure son pain au melon. L'autre l'attrapa au vol en lançant un « merci » beaucoup trop bruyant et enjoué au goût de Sasuke.
Le plus jeune regarda d'un air dubitatif son aîné se gaver de la nourriture infecte du réfectoire sans presque mâcher, ses yeux pétillant de ce qui semblait être une joie intense à chaque bouchée qu'il engouffrait et qui lui donna la nausée. Il jeta un coup d'œil rapide au contenu de sa propre assiette et se mit à triturer sans grande conviction les boulettes au curry mal cuites qu'elle contenait. Plus il regardait les bouts de viande et moins il avait faim…
Il préféra se désintéresser de son repas et rouvrit le petit calepin sur lequel il s'affairait avant l'arrivée d'Obito. Mais avant qu'il n'ait pu rajouter quoi que ce soit à la suite de ses notes, son cousin lui arracha le petit carnet des mains et déchiffra son écriture en pattes de mouche tout en ignorant ses faibles protestations. Sasuke détestait qu'il fasse ça : qu'il lise ses chansons avant qu'elles ne soient finies. Et puis, même quand il en avait achevée une, il n'était jamais très à l'aise de la lui faire écouter. Obito avait beau être très bon public, il avait toujours l'horrible sensation de se mettre à nu, d'être vulnérable. Ses textes étaient sans doute toujours trop personnels… Mais bon, Obito était son cousin, il pouvait bien faire l'effort de le laisser lire ses notes.
New slang when you notice the stripes, the dirt in your fries (Nouvel argot lorsque tu remarques les traits, la crasse dans tes frites)
Hope it's right when you die, old and bony (J'espère qu'il ne sera que justice lorsque tu mourras, vieux et osseux)
Dawn breaks like a bull through the hall (L'aube se lève, violente, telle un taureau traversant le hall)
Never should have called (Je n'aurais jamais dû appeler)
But my head's to the wall and i'm lonely (Mais je suis face à un mur et je me sens seul)
Obito parcourut les quelques strophes qu'il avait écrites et fronça les sourcils avant de lui rendre son calepin.
- C'est bizarre comme paroles. observa-t-il.
- Ça s'appelle des métaphores. se défendit Sasuke, vexé.
- Ouais sûrement. En attendant c'est toujours aussi joyeux.
- C'est pas mon truc le ciel bleu et les petits oiseaux.
- C'est pas un reproche ! Juste que ça m'attriste de voir que ce que tu écris n'est même pas un minimum optimiste, jamais.
- Pourquoi ça le serait ?
- Pour rien, pour rien… soupira son cousin en prenant un air très sérieux qui ne plût pas à Sasuke. C'est juste que j'aimerai s bien que tu sois heureux, juste pour une fois.
Le jeune Uchiwa poussa un soupir exaspéré. Il connaissait Obito par cœur et si jamais il ne changeait pas de sujet dans les dix prochaines secondes, son cousin allait encore lui déballer trois tonnes de banalités sur le sens de la vie et les bienfaits des sorties entre « potes ». Sasuke dit donc la première chose qui lui passa par la tête :
- Tu connais le Orange Noize ?
Obito le dévisagea d'un air surpris. Sasuke put distinctement voir un peu de sauce couler de ses lèvres entrouvertes. Il avait posé la question sans même s'en rendre compte et le regretta aussitôt. Son cousin avala bruyamment sa bouchée avant de répondre :
- C'est un café-concert sur Shibuya. Pourquoi ?
- Pour rien, laisse tomber.
- Si, raconte, ça m'intéresse ! Toi qui sort jamais, tu as un rencart ?
- Sois pas débile.
- Allez, tu sais que tu peux tout me dire !
Sasuke céda, sachant pertinemment que son cousin ne le laisserait pas tranquille avant qu'il ne lui ai tout raconté.
- J'ai croisé un ami ce matin, il m'as donné rendez-vous là bas.
- Heu… Tu as un ami ? demanda Obito, incrédule.
- C'était à Seattle, y'a quatre ans. On avait perdu contact.
- Pourquoi tu m'en as jamais parlé ? C'est qui ? Il fait quoi ?
- C'est le fils de Namikaze Minato. Le guitariste des Flash Lights. ajouta-t-il en voyant que le nom ne disait rien à son cousin.
- Ben merde alors !
Les flash Lights étaient un groupe de grunge internationalement connu. Sasuke en était fan depuis des années, comme la plupart des adolescents.
- Je savais pas qu'il avait un fils. Tu connais du beau monde ! Comment tu l'as rencontré ?
- Un gala.
Le père de Sasuke était directeur marketing pour un gros fabriquant de lutherie. Son boulot consistait à démarcher des artistes connus pour qu'ils utilisent leur marque et en vantent les mérites. Le soir de ce fameux gala, Sasuke avait dû l'accompagner et avait passé la plus grande partie de la soirée assis dans un coin à observer tous ses musiciens d'un air intimidé. Puis tout à coup une tignasse d'un blond surprenant était venu obstruer sa vue… « Salut ! Comme on as l'air de s'emmerder ferme tout les deux je me suis dit que ça serait sympa de se tenir compagnie ! Ça te branche de sortir pour boire une bière en douce ? » Voilà comment il avait rencontré Naruto.
- Merde c'est con, ce soir j'ai déjà un truc de prévu. Sinon je serais bien venu avec toi pour faire sa connaissance ! Il doit avoir pleins de trucs intéressants à raconter. Il s'appelle comment au fait ?
- Naruto. Et j'ai pas intention d'y aller.
- Pourquoi ?
- Parce que. Fous moi la paix.
Sasuke alla poser son plateau repas intact au passe et sortit dans la cour s'allumer une cigarette, espérant ainsi échapper à Obito. Peine perdue… Son cousin savait se montrer très agaçant parfois.
- Pourquoi tu veux pas le voir ? Je croyais que vous étiez amis.
- Lâche-moi.
- Il t'a fait quoi ? C'est un con ? Il t'as piqué ton mec ?
Sasuke poussa un soupir exaspéré. Avouer son homosexualité à son cousin n'était pas la meilleure idée qu'il ait eue… Depuis, il ne cessait d'essayer de lui trouver quelqu'un ou de lui poser des questions embarrassantes. Obito n'était pas méchant, c'était même l'antithèse de la méchanceté. Seulement il semblait également complètement dépourvu de tact.
- Il m'a rien piqué du tout, tu sais bien que j'ai jamais eu personne.
- Il est hétéro alors ? C'est ça le problème, hein ?
- Putain mais tu vas me foutre la paix ? T'as personne d'autre à emmerder ? s'énerva Sasuke en fusillant son cousin du regard.
Obito marqua une pause. Puis ses lèvres s'étirèrent en un sourire triomphant et il exulta :
- Ouais, t'as le béguin pour lui j'en étais sûr !
- Pas du tout, t'es un crétin.
- Crétin toi-même ! Franchement tu devrais sortir, ça te ferait pas de mal d'avoir une vie pour une fois. Tu passes à côté de pleins de trucs chouettes à rester enfermé chez toi comme ça !
- J'ai déjà une vie.
- C'est ça oui… Bon je me casse, t'es désespérant !
Le reste de la journée se passa le plus normalement du monde : les cours d'un ennui mortel, les filles qui gloussaient sur son passage (il n'avait jamais compris l'intérêt que le sexe opposé portais à son encontre), puis le bus le ramenant chez lui. Comme d'habitude son tuteur était absent et il traversa l'allée sans croiser personne. Orochimaru était l'oncle de son père, il était chercheur en génétique dans un laboratoire privé et passait le plus clair de son temps travailler. Sasuke n'en savait guère plus sur lui et s'en fichait éperdument. Les rares fois où il se trouvait en sa présence, le cinquantenaire ne faisait que le dévisager avec une étrange lueur au fond de ses yeux pâles qui le mettait horriblement mal à l'aise et il ne lui tardait qu'une chose : que vienne le moment où il pourrait quitter la pièce.
Arrivé chez lui, Sasuke s'attela à ses devoirs. Puis il mit un plat surgelé à réchauffer et se mit à tourner en rond dans son minuscule appartement. Il alluma la télévision mais rien de ce qui était diffusé ne l'intéressa… Les mots d'Obito revinrent le narguer du fond de sa mémoire alors qu'il écrasait une énième cigarette dans son cendrier déjà plein à craquer : « Tu passes à côté de pleins de trucs chouettes à rester enfermé chez toi comme ça ! »
Il se leva, regarda l'heure une énième fois et attrapa sa guitare avec dans l'idée de terminer la chanson qu'il avait commencée ce midi.
I'm looking in on the good life I might be doomed never to find (Et je regarde cette belle vie que je suis peut-être condamné à ne jamais trouver)
Without a trust or flaming fields, am I too dumb to refine ? (Sans aucune confiance ou volonté , suis-je trop bête pour y parvenir ?)
And if you'd 'a took to me like… (Et si tu avais eu un geste envers moi comme…)
Well I'd a danced like the queen of the eyesores (Et bien j'aurai dansé comme la reine des horreurs)
And the rest of our lives would 'a fared well (Et le reste de nos vies se serait bien passé)
Sasuke poussa un énième soupir et cessa de jouer. Ses yeux noirs se perdirent à travers la fenêtre. 20h47, la nuit était tombée… Il pensait à Naruto, l'imaginant en train de poireauter sous la neige en regardant sa montre, une moue déçue collée sur ses lèvres en voyant qu'il ne venait pas. De toute façon ça ne serait pas la première fois qu'il lui posait un lapin pensa t-il goguenard. Il se souvenait parfaitement que dans ces cas là il venait carrément se pointer chez lui pour l'emmener de force, quel idiot ! Sauf que ce coup ci, Naruto ignorait son adresse…
Après tout, revoir le blond une fois ne lui serait pas fatal… Et puis il en avait envie. Il avait envie de revoir Naruto. De l'entendre rire, de savoir ce qu'il devenait, s'il faisait encore de la musique, s'il avait toujours un humour aussi pourri qu'avant. Il avait sans doute des tendances masochistes pour souhaiter ça. Mais bon, quatre années s'étaient écoulées, et au pire il pourrait toujours s'en aller si la soirée le gonflait trop.
Il poussa un juron, attrapa son blouson au passage et claqua la porte d'entrée.